L’usage de neuroleptiques dans le cadre particulier des démences organiques est conçu comme un traitement purement symptomatique de certains troubles comportementaux.
Le cas particulier de la démence de la maladie de Huntington et des autres chorées intégrant un trouble comportemental n’est pas abordé car l’objet central du traitement neuroleptique est aussi de viser les mouvements anormaux.
De même ne sera pas développé ici la problématique des dyskinésies post-neuroleptiques imposant d’entrer éventuellement dans la spirale d’usage de ces molécules pour bloquer les néo-récepteurs.
Il est nécessaire de rappeler que l’initiation d’un traitement par neuroleptiques s’intègre dans une stratégie globale de prise en charge des troubles comportementaux continus des démences organiques et des épisodes confusionnels qui en émaillent l’évolution.
Les remarquables publications de Benoit[1] et Pancrazi[2] soulignent le rôle des médicaments dans ces symptômes. De même les prises en charge non médicamenteuses par des aidants qualifiés de professionnels et par des aidants familiaux sont essentielles[3].
La question centrale est de proposer des pistes pour initier ou modifier un traitement neuroleptique dans le cadre des démences organiques.
Les propositions suivantes, qui n’édictent aucune règle, devraient permettre d’ouvrir le débat sur un usage raisonné de ces molécules.
L’extrème fréquence des troubles non-cogntifs, comportements rendant la sociabilisation difficile voire induisant un danger, souligne l’acuité de la problématique de l’installation d’un traitement efficace.
Près de 23 à 37% des maladies d’Alzheimer, 15% des démences vasculaires, 15 à 40% des maladies de Parkinson à un stade évolué, 90% des MCLD ont des troubles de la série psychotique[4]. Environ 30% des Alzheimer[5] et démences vasculaires[6] et 20% des Parkinson ont des agitations continues ou épisodiques.
On peut proposer d’installer un neuroleptique :
n Toujours (sauf contrindications) si les troubles comportementaux vont d’une souffrance (patient, aidant) à un danger : dans ce cas on peut envisager un traitement sur le long terme, ce qui impose de choisir un neuroleptique (NL) ayant le moins d’effets secondaires possible et de bien penser les éventuels changements de molécules en cas d’impression d’absence de résultat satisfaisant.
n Parfois….dans les épisodes confusionnels, quelque soit la cause, dans le cadre d’une urgence lié à une dangerosité imposant une action rapidement efficace et après échec des approches non-pharmacologiques
n Jamais dans des cas particuliers de risque afférent à la maladie ou au malade.
Ainsi pour la maladie à corps de Lewy diffus (MCLD)[7] la sensibilité extrême aux NL fait partie de la définition de la maladie
Des contrindications liées au terrain sont également soulignées (comorbidités, contrindications…).
Les deux points centraux sont en rapport avec ce type particulier de médicament et ce type particulier de comportement pathologique.
• Le rapport bénéfice/risque :
il est évalué et réévalué de manière quasi continue mais doit s’inscrire dans une logique de durée du résultat.
• Le niveau de retentissement de tout symptôme sur le couple patient/aidant
ØNiveau de tolérance
ØDangers
Les diverses entrées au problème de l’usage des NL :
Notre groupe de travail propose diverses entrées pour envisager d’installer un traitement neuroleptique dans le cadre défini.
n S’agit-il d’un usage envisagé de manière continue ou discontinu ?
n Quel est le rapport entre l’intensité des signes et la tolérance de l’environnement ?
n Quelle est le type de la maladie causale ?
n Quelle est la typologie des symptômes ?
n Où sont les problèmes liés aux comorbidités, aux interactions médicamenteuses ?
n Enfin, quel est le milieu écologique, domicile, institutions, compliance des aidants, adaptation environnementale ?
Continu/discontinu
n Si on envisage d’installer un traitement continu, il faut garder à l’esprit que ce ne peut être que devant une situation structurellement génératrice de symptômes d’agitation, d’agressivité. Il faut alors prendre en compte les effets doses/durée, et le risque de carence aux arrêts des NL : la prudence raisonnée s’impose pour envisager un traitement à « long terme ». De fait, il apparaît dans notre pratique qu’il est parfois possible d’alléger voire de stopper un NL quand la situation d’agitation s’est apaisée.
n Le plus souvent l’usage d’un NL est envisagé « à la demande ». Cet usage discontinue expose moins à certains risques (vasculaires en particulier mais aussi effets anticholinergiques) : l’archétype de problème ponctuel est l’Episode confusionnel (après échec des autres tentatives). La règle est alors : « problème ponctuel=cause ponctuelle ». L’identification de la cause et son traitement quand il est possible devrait permettre l’abstention mais le calme du patient étant souvent nécessaire pour investiguer et traiter ladite cause, les molécules les plus constamment et les plus rapidement actives restent les NL.
Intensité/tolérance de l’environnement
n La proposition idéale est de permettre l’expression sans contrainte des troubles mais, en pratique, un aidant « craquant»…c’est la sollicitation du médecin pour traiter médicamenteusement …c’est l’espoir du classique « effet magique » qui doit calmer tout de suite une situation devenue intolérable (la souffrance morale rejoint ici la souffrance physique dans ses attentes d’immédiateté).
n Dans le cas effectivement « inaccessible » de certains Episodes Confusionnels on prévoira un NL à courte durée de vie.
Typologie des maladies causales
► On n’use jamais de NL si existe un doute sur une MCLD. La contrindication est formelle et classique même pour une dose unique.
► Parfois et avec un usage restreint, les NL sont utilisés pour les démences de la maladie de Parkinson.
Pour la clozapine à un niveau de dosage bas il n’est pas mis en évidence de détrioration motrice[8].Une étude met en évidence l’intérêt de la risperidone[9] mais elle peu utilisée actuellement en pratique.
► Les NL bloquent les inhibiteurs de l’acetylcholinesterase (IAchE) : ils sont donc théoriquement contrindiqués si on est dans la logique du traitement d’une Démence Type Alzheimer. On s’interroge sur le cas particulier du Risperdal réputé n’avoir aucun effet anti-cholinergique central. Ce serait alors le seul autorisé en cas de traitement par les IachE
► Les NL ne sont pas la solution des délires de la Démence Fronto-Temporale (DFT), il n’y a pas de solution (pharmacologique ou dialectique) pour contenir ou contrer ou raisonner ces délires, pas d’action sur la thématique délirante, conviction erronée paranoïde, mais ils agiront sur la conséquence du délire s’il s’agit d’une agression ou d’une conduite asociale.
► Les NL sont-ils dangereux dans les Démences Artériopathiques ? (Quand on doit traiter leurs hallucinations) Impliqués pour accroitre le risque d’AVC on doit s’interroger sur la valeur de leur risque surtout si le patient bénéficie d’un traitement préventif anti-agrégant plaquettaire (AAP) de bon niveau. Une étude montre l’efficacité de la risperidone versus placebo[10] au détriment d’un risque d’AVC, soulignant cependant que la totalité des patients ayant eut un AVC avaient des facteurs de risque (5 sur 6 avait une ACFA).
Typologie des symptômes
Les NL sont efficaces sur les hallucinations…si elles ne s’intègrent pas dans le cadre d’une MCLD (avec pour problématique que les critères diagnostiques de cette MCLD sont peu performants sur les formes débutantes).
Ils sont relativement efficaces sur les agitations [11](avec violences) ponctuelles (courte durée) mais si elles sont chroniques il faut bien peser le risque mais être aussi très assuré que les aidants seront aptes à bien surveiller le traitement.
Sur les délires générateurs de danger, comme dans les Démences Fronto-Temporale ou les maladies d’Alzheimer , les NL sont en fait efficaces sur l’agitation motrice qui base le danger. Dans le cadre des DFT il n’est pas reconnu que les NL fassent refluer les convictions délirantes. Pour la DTA on s’interroge plus loin sur le problème de l’effet anti-cholinergique des NL et sur le cas particulier de la risperidone qui en est dépourvu.
Ø Sur les inversions veille/sommeil…
Ø Sur les sollicitations excessives usantes(sexe, sorties, téléphone…)
Ø Sur les oppositions systématiques (alimentation, hygiène, soins…)
Comorbidités/interactions médicamenteuses
l Sujets agés, sujets à d’autres maladies…
l Interactions et contrindications…
Domicile/institution :Ecologie…
§ À la maison: aidant agé ou ayant un métier et une famille: capacité?
§ En institution: adaptation à la collectivité
Recommandations provisoires…
Quand utiliser un NL dans le cadre des démences neurologiques?
Quand on ne sait pas traiter la cause de l’agitation et quand les méthodes non-pharmacologiques sont dépassées…ou quand il faut une action rapidement efficace pour diagnostiquer et traiter la cause d’une agitation ponctuelle dans le calme.
Des questions restent posées pour initier un NL dans un usage au long court.
Dans les démences organiques, l’usage des NL devrait-il se concevoir tôt, dès les premiers signes d’anomalies comportementales, ou être réservé à des symptômes dangereux ou intolérables (usage « tardif ») ?
Les NL influent-ils sur le cours des maladies type Alzheimer ou autre (exception faite de la MCLD) ?
Les NL influent-ils indirectement, par l’apaisement familial, sur le mode de prise en charge des patients par l’entourage[12], et, pour dire autrement, les NL utilisés plus tôt que dans notre pratique usuelle ne seraient-ils les garants d’une préservation des « réserves énergétiques des aidants » ? Or on sait que sur le critère du retard à la mise institution, plus que les IAchE c’est la capacité de prise en charge des aidants qui est le premier facteur. Rappelons les 2 premiers objectifs du rapport de l’OCDE en 2004[13] :
1/ maintien à domicile le plus longtemps possible
2/ aider les aidants… pour atteindre ce but
Enfin, force est de rappeler les mentions légales concernant les NL dans cette indication. L’Afssaps[14] soulignait la survenue d'effets indésirables graves lors de l'administration de neuroleptiques à des patients âgés atteints de démence et souffrant de troubles psychotiques et/ou de troubles du comportement. L’Afssaps indique que « Les médecins doivent réévaluer le rapport bénéfice/risque du traitement par olanzapine chez les patients âgés recevant ce traitement pour des troubles psychotiques et/ou des troubles du comportement liés à une démence » mais admet enfin que « dans les cas extrêmes, lorsque les troubles du comportement s'accompagnent de symptômes psychotiques (délires, hallucinations) ou dans les états d'agitation aiguë, les neuroleptiques à faible dose en cure très courte (10 à 15 jours maximum) peuvent s'avérer nécessaires ».
[1] Benoit M et al. Symptomes comportementaux et psychologiques dans la maladie d’Alzheimer: resultat de l’étude REAL FR, La revue de médecine interne 2003; 24: suppl.3, 319s-324s
[2] Pancrazi MP et al., Traitements médicamenteux des SPCD. La Revue Francophone de Gériatrie et de Gérontologie 2003 ; 10(98) : 452-B
[3] Polydor JP, Communication mars 2007, Cannes, Symposium Janssen-Cilag , groupe de travail « vieillissement et résilience », à l’initiative d’Antoine Lejeune et de Boris Cyrulnik, et grâce au soutien de Janssen-Cilag.
[4] Weintraub D et al, Pharamacological interventions for psychosis and agitation in neuroidegenerative diseases : evidence of efficacy and safety. Psychiatr Clin N Am; 28 (2005) 941-983
[5] Bassiony MM, Lyketsos CG. Delusions and hallucinations in Alzheimer’s disease: review of the brain decade. Psychosomatics 2003; 44:388-401
[6] Aarsland D, et al. Prevalence and characteristic disturbances in patient with Parkinson’s disease. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1999;67:492-6
[7] Mc Keith I, Fairbairn A, Perry R, et al. Neuroleptic sensitivity in patient with senile dementia of Lewy body type. BMJ 1992; 305:673-8
[8] Wolters EC, Hurwitz TA, Mak E, et al. Clozapine in the treatment of parkinsonian patients with dopaminergic psychosis, Neurology 1990 ;40 :832-4
[9] Tarsy D, Baldessarinni RJ, Tarazi FI, Effects of newer antipsychotics on extrapyramidal function. CNS Drugs 2002; 16:23-45
[10] Brodaty et al, 2003 in Kaycee et al., Pharmacological treatment on neuropsychiatric symptoms of dementia; JAMA, Feb, 2, 20056Vol 293, N°5
[11] Weintraub D et al, Pharamacological interventions for psychosis and agitation in neuroidegenerative diseases : evidence of efficacy and safety. Psychiatr Clin N Am; 28 (2005) 941-983
[12] Lejeune A, Polydor JP, Vion-Dury J. Resilience, maladie d’Alzheimer et therapeutique, in Le vieillissement réussi (sous la direction de Lejeune A et Cyrulnik B), à paraître, Solal éditeur
[13] Moise P et al, the dementia Experts’ Group. Dementia care in 9 OECD countries : A comparative analysis. OCDE 2004
[14] Communiqué de presse (9 mars 2004)de l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé)
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